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Unesco et tractopelles : pourquoi faut-il faire des fouilles à Saint-Sernin ?

  • L'Alouette
  • 1 janv. 2016
  • 5 min de lecture

Afin de faire entrer Toulouse au patrimoine mondial de l'UNESCO, la municipalité s'attaque à l'obscurantisme médiéval à grands coups de tractopelles.


En tant qu'humbles étudiantes d'Histoire de l'art, Saint-Sernin c'est un peu notre Joconde de l'art roman, la tour Eiffel de Toulouse si vous préférez. Saint-Sernin est dans tous les bouquins d'Histoire de l'art du monde s'il y est question d'art roman. Et si on vous dit qui elle est, vous aussi, vous ne l'aimerez plus que pour son physique avantageux : elle est aussi belle « de l'intérieur ».

Qui-que-quoi ?

Saint Sernin, mondialement connue (elle est inscrite au patrimoine mondial de l'UNESCO au titre des chemins de Saint Jacques de Compostelle), est profondément liée à l'existence de Toulouse dès les premiers siècles (rappelons que Tolosa est une ville romaine fondée au Ier siècle ap. J.-C.).

La première Saint-Sernin est construite très tôt, en 403. Son nom vient de l'un des premiers martyr chrétien, saint Saturnin, premier évêque de Toulouse et martyrisé en 250, traîné par un taureau le long de la rue du Taur (le hasard n'existe pas). C'est au XIe siècle, alors que Toulouse connaît un grand essor, que naît le projet de la basilique que nous voyons encore aujourd'hui (à quelques détails près). Elle est consacrée en 1096, et jusqu'à la fin de sa construction au XIIIe siècle on gardera le même projet initial, fait assez rare à l'époque médiévale pour être souligné. Depuis, elle a subi certains remaniements et changements de décorations (elle aurait d'ailleurs bien besoin d'une restauration), mais enfin elle reste un chef-d’œuvre de l'art roman.

S'étendant du Xe au XIIe siècle, l'art roman c'est cette période obscure (ironie) précédant le lumineux gothique, et que les spécialistes tentent désespérément de sortir de ce cliché beaucoup trop simplificateur. Et quel bâtiment mieux que Saint-Sernin pour prouver que toutes les églises romanes ne sont pas des constructions basses, massives où la seule lumière qui y règne est celle diffusée par les cierges poussiéreux ? La basilique de Toulouse est la plus grande église romane conservée en Europe après celle de Cluny, détruite fin XVIIIe. Elle montre le génie des bâtisseurs de cette période qui s'employèrent à voûter leurs édifices et firent sans cesse preuve d'invention pour proposer de nouvelles solutions à cette difficulté technique.

Pour résumer, nous avons là un chef-d’œuvre de l'art roman, un jalon historique primordial, un témoin de l'histoire de Toulouse et vous savez quoi ? Ses abords n'ont jamais été fouillés.

Retour vers le présent

On veut une ville belle, propre, moderne - jusque là, on ne va quand même pas se plaindre. Sauf que le ravalement de façade de Toulouse (dont vous avez déjà pu avoir un aperçu place Saint-Pierre et rue Alsace Lorraine) menace fortement son propre patrimoine. Le lieu de ce conflit, sans mystère : la place Saint-Sernin. La basilique mérite certainement d'être mise en valeur (se référer à la question tragique posée par Mme Elizabeth reine d'Angleterre : « mais pourquoi (why) avoir construit une basilique au milieu d'un parking ? »), mais arrêtons-nous un instant sur la définition de la notion de valorisation, fondamentale en matière de législation du patrimoine. On entend par valorisation toute sorte d'actions visant à améliorer la connaissance et la vision des biens culturels (c'est à dire dans le cas qui nous occupe : Saint-Sernin). Or les travaux de la place pourraient bien conduire à la destruction de vestiges archéologiques liés au site vieux de plusieurs siècles.

On aurait pu penser que la réfection de la place Saint-Sernin aurait été une occasion en or pour effectuer des fouilles poussées de ses abords afin d'élargir nos connaissances du lieu, dont on sait qu'ils gardent un véritable trésor archéologique. Ce n'est cependant pas ainsi que l'entend la mairie. Les sondages obligatoires ont été fait cet été, et ils ont permis de découvrir deux chapiteaux magnifiques (la partie supérieure d'une colonne, souvent ornementé voir historié, cf. la collection du musée des Augustins) , de nombreuses sépultures, les restes d'un cloître disparu, etc. Mais la marie considère ces sondages comme suffisants. Mener des fouilles d’investigation serait coûteux et puis d'ailleurs, on n'est pas surs de trouver quelque chose. Les recherches sont perçues comme un risque alors qu'« On peut le voir au contraire comme une chance, un enrichissement et une promesse d'avenir » souligne Quitterie Cazes, archéologue et maître de conférences en Histoire de l'art médiéval dans notre université de Toulouse et spécialiste de Saint-Sernin. En effet, pourquoi chercher à connaître et à savoir quand on peut tout simplement « réévoquer l'histoire de cet endroit » comme le propose Joan Busquets, l'urbaniste chargé du projet de la ville, en rappelant la présence de l'ancien cloître par des éléments modernes. Ce discours pose la réfection de la basilique dans le sens d'une réactualisation historique du lieu afin d'en valoriser l'importance patrimoniale. Il prend le goût amer de l'ironie alors que les archéologues se voient refuser la possibilité de faire des fouilles. Ce refus de la mairie semble faire de sa démarche un travail de façade, creux et vide de sens, utilisant le joyau roman pour en faire la vitrine d'une ville soucieuse d'obtenir le prestigieux label UNESCO, et ainsi augmenter l'attractivité de la ville pour les entreprises et les touristes.

Vos raisons sont bidons

Si on récapitule, les raisons avancées à l'encontre des fouilles son principalement d'ordre financier, investir dans un chantier archéologique étant perçu comme un pari hasardeux. Il semble pourtant bien peu raisonnable d'imaginer qu'on ne puisse rien trouver, les sondages réalisés cet été prouvant (s'il le fallait) que de nombreux éléments demeurent enfouis aux abords de la basilique. Les fouilles auront en effet un coût, estimé entre 2 et 3 millions d'euros, mais pour avoir un ordre d'idée la mairie débourse chaque année 1,2 millions d'euros pour l'entretient de la pelouse du Stade, tandis que les travaux de la place Saint Pierre se sont élevés à 2,4 millions d'euros et ceux de la rue d'Alsace Lorraine à 11,2 millions. De plus, selon le type de fouilles menées (préventives ou programmées), la ville peut recevoir des subventions de l’État et des aides de l'Europe ; schématiquement, plus le projet est important plus les subventions peuvent être élevées et moins cela coûte d'argent à la ville !

Quitterie Cazes souligne que les fouilles elles-même pourraient être mises en valeur en créant un « musée de l’œuvre » regroupant toutes les trouvailles (avec des médiateurs organisant des visites, un système de passerelle au-dessus du chantier, une présentation de la progression des des recherches,...) afin d'en faire un pôle muséal fondamental.

Labellisera, labellisera pas...

Nous avons mentionné plus haut le projet du maire d'obtenir pour la ville le label UNESCO ; un comité d'orientation a ainsi été mis en place, chargée de trouver un concept moteur pour présenter la candidature de Toulouse, ainsi qu'une commission scientifique. Il faut savoir que le label est donné en récompense à une politique mise en place, or les précédentes municipalités ont été peu actives dans le sens de la valorisation du patrimoine local. Selon Mme Cazes, Toulouse aurait une trentaine d'années de retard dans ce domaine et le montage d'un projet solide demanderait au moins 10 ans. La demande d'inscription de certains quartiers comme secteurs sauvegardés (le centre historique par exemple), initiée en 1972, n'a pas abouti et la ville ne possède pas encore de plan de sauvegarde et de mise en valeur. Cela est pourtant nécessaire pour toute candidature au classement UNESCO, qui n'est, rappelons-le, pas définitif. Toulouse ne possède même pas le label « ville d'art et d'histoire » attribué par le ministère de la Culture et de la Communication – là encore, il faudrait pour l'obtenir une vraie politique de valorisation volontariste.

La demande de ce label apparaît comme l'occasion de mettre Toulouse au niveau de ce qu'elle pourrait être en termes de valeur patrimoniale. Pour ce faire, il semble indispensable de traiter la place Saint-Sernin comme un enjeu prioritaire, au lieu de menacer de détruire ses couches archéologiques…

https://www.change.org/p/monsieur-jean-luc-moudenc-maire-de-toulouse-pour-des-fouilles-arch%C3%A9ologiques-approfondies-de-la-place-saint-sernin-et-pour-une-revue-du-projet-urbain-d-am%C3%A9nagement

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