Ward, Ier – IIème siècle
- L'Alouette
- 16 avr. 2016
- 2 min de lecture
La langue est une des plus belles inventions de l’homme. Technologie ultra-avancée du langage, elle permet d’envisager le monde, de l’embrasser et d’en percevoir et transmettre toute la complexité. Il en existe une infinité, et elle prend des allures de figure divine lorsque les linguistes se mettent en quête de la première d’entre elles, la langue adamique. Mais, malheureusement, certaines disparaissent, une tous les quinze jours à peu près. C’est là qu’intervient Frédéric Werst. Agrégé de lettres et enseignant dans un lycée parisien, Frédéric Werst veut agir contre cette fatalité. Ward est un projet fou, un roman hors norme et inclassable. L’objectif de Werst est de compenser cette perte de langues ‘’réelles’’ par la création d’une langue fictive, le wardwesân. Mais pour que cette langue soit crédible, il faut lui donner une raison d’être, un cadre. Ainsi naquirent les Ward, le peuple imaginaire qui donne son nom au mystérieux volume qui nous intéresse. Fruit de vingt ans de réflexion et de quatre ans de travail, Ward Ier-IIème siècle est une anthologie littéraire bilingue qui étudie la vie d’un peuple inexistant, si ce n’est entre ces pages. On a droit à des notices précisant le contexte dans lequel placer chaque texte et en avant. On couvre un nombre de sujets et de genre littéraires ahurissant: biologie, histoire, politique, poésie, religion, sciences, arts et pure littérature. On découvre donc en filigrane ce peuple exilé qui se construit un vaste royaume, l’Aghar et développe peu à peu ses connaissances. De part leur langue et leur culture, les Ward nous évoquent l’Orient, avec ses civilisations mystérieuses, peu connues du grand public. Le sens du détail de l’auteur impressionne et on se prend à croire à l’existence de ce monde profond et plein de richesse.
Le travail fourni est aussi inhabituel qu’énorme. Werst commence d’abord par écrire en wardwesân avant de traduire en français, en laissant parfois du temps entre les deux étapes pour mieux redécouvrir les textes (oui oui, il va jusque là). On peut évidemment faire le avec Tolkien qui s’amusait lui aussi à créer des langues avec leur grammaire, leur vocabulaire et leurs étymologies mais Werst rejette cette influence, il ne connaît pas l’oeuvre du manitou britannique de la fantasy. Mais surtout, il y a une énorme différence entre eux: Tolkien crée des langues pour rendre son univers plus concret, Werst fait l’inverse. Il n’y a pas de héros ni de vrai personnage dans ce livre, si ce n’est la langue dans laquelle il est écrit. On doit donc plutôt lorgner vers Jose Luis Borges et ses expérimentations métaphysiques sur le langage. Frédéric, pousse le vice jusqu’à ce donner le nom de Werst, qui veut dire chose, truc en wardwesân (si ça ne vous donne pas envie de le lire, je ne sais pas ce qu’il vous faut). En bref, Werst nous offre une œuvre spectaculaire. Livre fascinant pour sa bizarrerie et le caractère fou de son entreprise, véritable réflexion sur le pouvoir de la langue et sa capacité à créer des mondes, Werst nous enjoint à aimer nos langues, pour mieux aimer le monde.
Ward Ier-IIième siècle
Frédéric Werst
2011, Seuil.
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